Paul Roux2024/10/22

UN ABATTAGE D'ARBRE ÉLÉPHANTESQUE À ÉVITER

 
Pour l'édition originale de ce texte de Paul Roux publié le 22 octobre 2024
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Combien d’arbres seront abattus dans le boisé Saint-Paul, à L’Île-des-SÅ“urs, l’hiver prochain : 1000, 1300, 1500 ? On n’en sait rien.
 
Combien d’arbres seront abattus dans le Boisé Saint-Paul l’hiver prochain : 1000, 1300, 1500 ? On n’en sait rien. La mairesse de l’arrondissement de Verdun, Marie-Andrée Mauger, a évoqué quelques centaines lors d’une réunion du conseil. Mais ce sera bien davantage. Dans ses communications officielles, l’Arrondissement souligne que près de 1000 frênes seront coupés dans la forêt urbaine de L’Île-des-Sœurs.
 
Cependant, le contrat d’abattage, obtenu grâce à la Loi sur l’accès à l’information, mentionne expressément « 1300 frênes et autres espèces ». Et le chiffre pourrait encore grimper, car les ingénieurs forestiers du Service des grands parcs avaient souligné, lors d’une réunion d’information l’été dernier, que 1500 arbres pourraient être sacrifiés dans l’espoir de stopper l’agrile. Un chiffre énorme ! D’autant qu’environ 400 frênes ont déjà été fauchés au cours des derniers hivers.
 
Le Boisé Saint-Paul n’est pas l’Amazonie, faut-il le rappeler. Il s’agit d’une petite forêt de 26 hectares. On compte y abattre les frênes sur une distance de 25 mètres de chaque côté de ses nombreux sentiers. On envisage également de couper les frênes situés à moins de 25 mètres des propriétés. Faites le calcul : environ 70 % de l’écosystème sera ainsi détruit.
 
Le Boisé Saint-Paul ne deviendra pas une savane. Mais il sera troué de nombreuses clairières, comme la mairesse Mauger l’a elle-même reconnu.
 
Les conséquences seront déplorables pour les promeneurs, qui troqueront une forêt magnifique contre un boisé dévasté. Mais elles seront catastrophiques pour la faune et la flore du lieu. 
 
Rappelons qu’environ 150 espèces d’oiseaux habitent ou fréquentent ce boisé, dont une quinzaine d’espèces menacées ou vulnérables. Je doute qu’ils goûtent ce remède de cheval.
 
Cet abattage mastoc est d’autant moins justifié qu’une vidéo filmée par drone montre que le Boisé Saint-Paul, malgré la présence de l’agrile, reste en bonne santé. Telle est la conclusion à laquelle sont arrivés plusieurs experts, dont des ingénieurs forestiers, après avoir regardé attentivement ce survol d’une trentaine de minutes.
 
Une politique controversée
 
Le Service des grands parcs et l’Arrondissement justifient leur position en alléguant qu’il est « moins dommageable à terme pour le site d’agir en une seule fois, plutôt que de différer les coupes sur plusieurs années ». Mais cette politique interventionniste est très controversée. Des années d’expérience un peu partout en Amérique du Nord, où l’agrile sévit depuis plus de 20 ans déjà, ont montré qu’il était préférable d’éviter les coupes trop importantes de frênes. On croit maintenant qu’il faut enlever uniquement les arbres devenus dangereux.
 
C’est notamment la conclusion à laquelle est arrivée l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui fait autorité en la matière. L’organisme affirme désormais que « l’élimination des arbres infestés ne constitue pas une mesure efficace pour lutter contre l'agrile du frêne ». La politique du ministère québécois de l’Environnement va dans le même sens. Ce ministère recommande de n’abattre que les frênes présentant « un risque évident ».
 
La biologiste Louise Gratton, cofondatrice de l'organisme Corridor appalachien, propose elle aussi de « n’abattre que les arbres morts ou malades, et dangereux pour les usagers des sentiers ou pour les résidences à proximité ».
 
Cette spécialiste de la conservation des milieux suggère d’échelonner les coupes sur une période minimale de dix à quinze ans, afin que le boisé puisse se régénérer naturellement. 
 
Ce qui est sans doute plus sage que de promettre de replanter des arbres dans un milieu humide, où leurs chances de survie seront faibles. Au mieux, les pousses mettront des décennies à croître.
 
C’est pourquoi les Amis du Domaine Saint-Paul ont demandé à l’arrondissement de Verdun un moratoire sur cet abattage éléphantesque. Ils ont essuyé un refus sec. Devant l’entêtement de la mairesse, ce nouveau groupe voué à la conservation de l’environnement s’est tourné vers le ministère de l’Environnement pour demander la révocation du permis d’abattage.
 
Il faut espérer que leur appel sera rapidement entendu, car l’opération d'abattage doit commencer dès janvier prochain. Il est donc minuit moins une. Après, il faudra attendre plusieurs générations pour que le Boisé Saint-Paul retrouve sa splendeur. Si jamais il la retrouve.
 
Paul Roux
L'auteur a été journaliste et conseiller linguistique à La Presse. Il réside à L'Île-des-Soeurs.

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