par Véronique Vermette et Patrick Bouchard Laurendeau
La présence de visiteurs dans des aires aménagées pour la récréation, au cœur même d’un territoire protégé comme un parc national, occasionne une gestion du milieu naturel et de ses composantes dans le but d’en assurer la sécurité publique. Cette présomption de sécurité doit toutefois se faire sans aller à l’encontre de la mission intrinsèque des parcs, soit de conserver leur patrimoine culturel et naturel. Voilà un exemple de complexité qu'est la gestion des arbres dangereux, tel que vécu au parc national d’Oka depuis 2010.
UNE GESTION PRÉVENTIVE
Les effets du temps se font inévitablement percevoir sur la forêt qui surplombe nombre d’ emplacements de camping et d’aires de pique-nique. Diverses maladies et malformations peuvent affliger les arbres, ce qui les rend sujets à se fracasser avec la pression du vent et potentiellement porter atteinte à la sécurité des visiteurs et occasionner des bris d'équipements. Afin de diminuer ces possibilités, l’équipe de la conservation et de l’éducation du parc national d’Oka s’est dotée d’un plan de gestion des arbres dangereux pour les aires de haute fréquentation. Les lignes directrices de ce plan tentent ainsi de minimiser les impacts sur le milieu naturel occasionnés par l’abattage préventif. À l’égard de cet objectif, plusieurs actions ont été ciblées : conception d’une clé d’évaluation, implantation d’un suivi des arbres potentiellement dangereux, analyse statistique de données et instauration de mesures d’atténuation.
UN GUIDE D'ÉVALUATION EFFICACE
La clé d’évaluation des arbres susceptibles d’être dangereux permet de calculer les risques de chute de branches et d’arbres et classe ces derniers pour un abattage préventif (total ou partiel), un suivi bisannuel ou quinquennal, de même qu’un émondage. La présence des champignons, des fourches, des chancres, des cavités, des fentes, de la défoliation et de l’inclinaison devient alors indicatrice de détérioration. Ajoutés à cela, des facteurs aggravants orientent la décision à prendre.
DES MESURES D'ATTÉNUATION POUR LA FAUNE
La perte d’habitat pour la faune, l’augmentation de l’érosion, la propagation d’espèces floristiques envahissantes et les dommages directs causés à la flore avoisinante pendant l’abattage sont des exemples de perturbations envisageables. Le plan de gestion des arbres dangereux les a toutefois limitées en accordant une importance aux mesures d’atténuation. En 2010, près du tiers des arbres dangereux abattus étaient porteurs d’une ou plusieurs cavités, plus ou moins importantes. Ces ouvertures sont des habitats potentiels pour la faune vivant dans les cavités. Il n’est pas rare d’observer écureuils, tamias et ratons laveurs s’y réfugier. Dans la majorité des arbres-refuges, ce sont les dix premiers mètres qui ont été préservés. Ensuite, les débris ligneux ont été déchiquetés sur place pour éviter la tentation pour les campeurs de les brûler et ainsi priver le sol d’une biomasse riche en nutriments. Certains troncs ont été déposés dans des sentiers illicites, bloquant ainsi leur accès afin de réduire le piétinement et favoriser la régénération au sol. La plantation d’arbres pourra compléter le projet afin de densifier le sous-bois. En plus de séquestrer du carbone atmosphérique, ces arbres imposeront une barrière physique aux campeurs, tout en diminuant le piétinement.
DES RÉPERCUSSIONS FAVORABLES OU DÉFAVORABLES ?
L’abattage préventif d’arbres dangereux n’a pas été accompli dans le but de favoriser une composante particulière de la pinède à pin blanc et à chêne rouge du parc national d’Oka. Toutefois, il est possible d’envisager certains impacts positifs que cette coupe aura sur la forêt actuelle du camping. La création non planifiée de puits de lumière par l’abattage préventif peut encourager la croissance des arbres, arbustes et herbacées photophiles. En effet, cet apport de lumière au sol supportera la croissance des plantes pionnières intolérantes à l’ombre. Également, les rejets de souche de certaines essences, comme les érables, présentent un élément non négligeable dans la re-végétalisation du camping. Cette végétation permettra à la faune de profiter de la densification du couvert végétal, de nourriture et d’abris supplémentaires. Une obstruction latérale de la vue, par la croissance de bosquets entre les emplacements de camping, en résultera et les campeurs bénéficieront de plus d’intimité.
UN PREMIER ABATTAGE PRÉVENTIF
L’analyse statistique des arbres abattus et suivis a révélé plusieurs résultats intéressants. Parmi les sept indicateurs d'anomalie évalués, 51 % des arbres abattus l’ont été en raison d’une fissure, symptôme d’une carie du cœur de l’arbre, les cavités arrivant au second rang avec 29 % des arbres. Toutefois, le symptôme de carie le plus significatif quant à l’éventuelle chute de l’arbre est la présence de champignons, représentant 21 % des arbres suivis. Au terme de cette première phase (répartie sur 2 ou 3 ans), ce sont 1 796 arbres de treize essences différentes qui seront abattus sur 894 emplacements de camping, ce qui se traduit par une moyenne de 2,0 arbres dangereux par site (les arbres de moins de 20 cm de diamètre ne sont pas compilés).
DES PISTES D'AVENIR
Ces résultats démontrent qu’il ne fait aucun doute que cet enjeu de conciliation sécurité-conservation des arbres dangereux doit être considéré avec sérieux lors de la gestion d’aires récréatives naturelles. Malgré qu’il s’agisse de couper des arbres, parfois précieux car centenaires ou menacés, il existe des moyens pour réduire les impacts et compenser les pertes occasionnées au milieu naturel. Le suivi des arbres potentiellement dangereux permet d’étaler leur abattage dans le temps, d’évaluer la vitesse de dégradation de certaines maladies et d’accorder le bénéfice du doute aux arbres dont la situation est incertaine. De plus, la préservation d’arbres-refuges permet à la faune cavicole de conserver ses abris, la plantation d’arbres régénère la forêt et les puits de lumière encouragent la végétation pionnière à coloniser les aires de camping dénudées. Il sera certainement intéressant à long terme de pouvoir observer ces changements sur le terrain.
NOTE
Véronique Vermette, M. Env., biologiste responsable de la conservation et de l’éducation au parc national d'Oka
Patrick Bouchard-Laurendeau, technicien du milieu naturel au parc national d’Oka
L'édition originale de ce texte est paru sur le blog de la SEPAQ.
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